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10 novembre 2006

Les savants villageois parlent de Mutombi et de Movingui

Séminaire interdisciplinaire du Luto

Libreville, 21-26 Juin 2004

Les savants villageois parlent de Mutombi et de Movingui

Henri Bourobou Bourobou

Maître-Assistant CAMES

Laboratoire de Botanique appliquée

Institut de Recherche en Ecologie Tropicale

CENAREST

Les savants villageois parlent de Mutombi et de Movingui

Bourobou Bourobou H.*

Keywords : Mutombi, Movingui, Flora of Gabon, timbers, symbols, trees women

Résumé

Movingui et Mutombi sont des arbres de la flore du Gabon. Si ces deux espèces (Distemonanthus benthamianus et Copaïfera religiosa) sont utilisées comme essences de bois d’œuvre ; force est de constater que Movingui et Mutombi occupent une place prépondérante dans nos traditions, où celles-i sont considérées comme de véritables symboles représentant des femmes arbres en forêt.

Summary
Villagers speak about Mutombi and Movingui

Movingui and Mutombi are two trees belong to flora of Gabon. These trees are usefuled like timbers. However Movingui and Mutombi are very useful for our traditions because the two trees are symbols which mean trees women in forest.

Introduction

Movingui et Mutombi sont des arbres de la flore du Gabon. Les scientifiques les appellent respectivement Distemonanthus benthamianus Baill. et Copaïfera religiosa Léonard. Les deux espèces appartiennent à la famille des Légumineuses notamment les Caesalpiniaceae. L’objet de cette communication est de montrer comment les deux espèces botaniques sont perçues dans la société traditionnelle gabonaise. Pourquoi peut-on classer Mutombi et Movingui parmi les grandes figures gabonaises ?

Il faut dire quelques mots sur la notion de grandes figures qui était assez floue pour moi, il y a quelques mois; j’avoue que j’avais cru à un moment donné que la notion de grandes figures ne concernait essentiellement que l’homme en tant que homme ; et c’est peu à peu que j’ai appris que je pouvais aussi avoir une tribune à ce séminaire en tant que porte parole des plantes parce que les plantes n’ont pas d’avocats.

En effet, je dois parler de deux espèces d’arbres qui sont pour l’homme traditionnel des plantes femmes à cause de leur beauté légendaire.

Pour vous en parler, j’ai procédé par une démarche scientifique.

Bilan des travaux antérieurs : voici ce que des auteurs comme Walker et Sillans (1961 ; 1963) ; Faure et Vivien (1985) ;  disent à propos des deux espèces d’arbres:

Movingui : Movingui est un assez bel arbre, remarquable par son tronc rougeâtre, généralement droit, cylindrique. Il est considéré comme l’arbre des sorciers. L’arbre a des longues racines traçantes très minces. Ecorce lisse, très mince, de couleur rouille. Distemonanthus benthamianus est une espèce qui est regardée par les savants illettrés comme un talisman d’invulnérabilité pour les guerriers ; les flèches ou les balles glissent sur le corps – sans pouvoir y pénétrer. Pour cela, il suffit de se frotter avec de la poudre d’écorce associée à celle du bois rouge (Pterocarpus soyauxii – Mimosaceae ou Padouk). Cette même préparation s’emploie contre les affections de la peau ou en lavements. Dans certaines langues du Gabon, Movingui s’appelle : ogèminya (Mpongwé, Nkomi) ; muvègè (Bandjabi) ; muvèngi (Bapunu, Balumbu) ; ovèngè (Apindji, Mitsogo, Simba) ; eyèn (Fang).

Répartition géographique : Sierra-Léone au Gabon

Tableau 1 : Informations relatives à Distemonanthus benthamianus (Movingui)

Mutombi : Mutombi est un arbre magique. Arbre magnifique à fût rouge, très gros, très grand et très droit. C’est le bel arbre, sans contreforts, de toute la forêt primaire gabonaise. La couleur rouge de son tronc a amené les savants villageois à le consacrer le roi des Arbres, c’est-à-dire, l’arbre sans pareil semblable à l’arc-en-ciel. Pour eux, c’est un arbre mystérieux qui résonne comme pour répondre, lorsqu’on le frappe. L’arbre donne la richesse, les honneurs, la célébrité…L’arbre est peu commun. La tranche de l’écorce qui est rouge brique ou orangée dégage une odeur d’amande amère. Les populations récoltaient la résine odorante de l’aubier et du bois du cœur pour se parfumer. La résine servait à fabriquer des torches utilisées dans les veillées du Bwiti en guise de flambeaux. L’arbre n’était pas abattu et était exalté dans les chants ; l’écorce odorante est comptée parmi les aromates offerts aux esprits ou déposés sur les tombes des défunts. Avec l’écorce des jeunes arbres, certains peuples du Gabon fabriquaient des boîtes cylindriques pour conserver les crânes des ancêtres. Autrefois, les trafiquants qui effectuaient de longs voyages, prenaient la précaution de se laver tout le corps avec une décoction de l’ écorce pour pouvoir réussir leur mission. Cette coutume était aussi utilisée par les gens de la côte lorsqu’ils allaient chasser les lamantins ; de cette même décoction, on tirait une eau spéciale, destinée à laver les statuettes du Bwiti ou à purifier les Nganga du Bwiti. On s’en servait aussi pour s’attacher les gens, ou pour gagner les bonnes grâces des Blancs, des Chefs traditionnels ou autres personnages influents. Par ailleurs, c’est au pied des grands arbres que de nombreuses populations du Gabon enterraient autrefois des jumeaux décédés, jeunes ou vieux. Enfin, c’est à l’ombre de cet arbre-fétiche que se déroulaient généralement les cérémonies d’initiation au Bwiti. En pharmacopée traditionnelle, l’écorce de Copaïfera religiosa (arbre porteur de copal) s’employait en macération pour calmer les règles douloureuses, et en fumigations (ifulu) contre les maux de tête et les douleurs des reins. L’espèce Mutombi porte divers noms vernaculaires dont voici quelques uns pour mémoire : olumi (Mpongwé) ; motombi (Mitsogo, Simba,Apindji) ; mutombi (Bandjabi, massango, Bavili) ; murèdji (Bapunu) ; anzem (Fang) ; indèmba (Benga).

Répartition géographique : Cameroun, Gabon, Congo

Tableau 2 : Informations relatives à Copaïfera religiosa (Mutombi)

Méthodes d’étude

Pour faire ce travail, nous avons utilisé deux approches :

-         Une approche bibliographique qui consistait à regarder la littérature existante sur la question ;

-         Une approche de terrain car nous avons utilisé des résultats d’enquêtes que nous avons accumulées depuis plus de 15 ans de recherche en ethnobotanique.

Résultats et discussions

Mutombi et Movingui sont dans le règne végétal ce que le serpent vert et le serpent noir sont dans le règne animal (mubambe na mudume). ce sont des plantes sœurs qui habitent l’Afrique tropicale. Comme les scientifiques, les ruraux distinguent bien leur écologie : Copaïfera religiosa affectionne la forêt dense sempervirente alors que Distemonianthus benthamianus croît dans des vieilles formations secondaires ; c’est-à-dire que Movingui habite à mi chemin entre le village et la grande forêt qui est l’habitat privilégié de Mutombi. Mutombi et Movingui sont parmi les arbres les plus beaux de la forêt, leurs troncs sont longs et droits. Ce sont des beaux arbres comme pour caricaturer le monde des humains. Ces arbres se muent de la base vers le haut, tout au long de leur vie ; leur écorce est renouvelée régulièrement.

Movingui et Mutombi s’imposent par leur présence dans un habitat donné. Là où pousse leurs représentants ; il règne un calme étonnant, la base des troncs est toujours propre. Les individus de chacune des espèces changent leur feuillage totalement chaque année notamment en saison sèche.

Mutombi et Movingui symbolisent la beauté, la beauté de la femme traditionnelle, la beauté de la forêt toujours productrice, la beauté des êtres qui se cherchent; la beauté de l’homme qui demande la faveur, la beauté du corps qui recherche la protection et la guérison.

Mutombi et Movingui symbolisent des génies ; ces arbres médico-magiques sont en fait, des arbres fétiches, qui donnent à la femme le meilleur parfum du monde pour conquérir l’être cher ou attirer les regards des hommes les plus têtus.

Mutombi et Movingui sont des génies de la faveur et de l’espoir. Si l’on doit espérer ou avoir une faveur, il y a un conseil, c’est celui d’aller demander aide, et protection à ces deux êtres vivants.

Mutombi et Movingui symbolisent l’ordre et la propriété, le calme et le silence, la lumière et la discrétion. Partout où poussent ces deux espèces, il y a la présence des génies. La couleur brune de l’écorce des deux espèces symbolise l’arc-en-ciel qui est en fait la vie et non le serpent qui est l’ennemi de l’homme.

Mutombi et Movingui sont des arbres inséparables ; et Matsanga Kouély (com. Pers.) illustre cela par une chanson : « Muvèngui na mutéli mua muiri lale eh eh eh. ». Il y a dans la forêt des plantes sœurs, parfois aussi des plantes mâles et femelles : par exemple, Muvèngui et Mutèli sont des plantes sœurs tout comme Mwambe bènga (Enantia chloranta) et Mwambe pinde (Polyalthia suavolens). Chez les raisins du Gabon (Mufire ou (Mumbundu) qui sont des arbres de sous-bois de forêt, il y a d’une part des pieds mâles et d’autre part des pieds femelles.

Mutombi et Movingui sont considérés dans nos traditions comme des jumeaux. Ce sont donc des initiés de la forêt qui deviennent à leur tour des maîtres initiateurs ; c’est pourquoi, les êtres humains qui sont à la recherche du chemin de l’espoir ou de Dieu vont se faire initier à leur pied.

Mutombi et Movingui symbolisent la suprématie ; leur tronc qui renferme une écorce lisse ne donne pas la possibilité à l’homme de grimper le long des arbres.

Si Movingui et Mutombi servent beaucoup plus de cadre à diverses cérémonies rituelles. Ce sont des plantes médico-magiques. Mutombi est recherché pour son cadre exceptionnel mais aussi pour son écorce parfumée dont la décoction prise en boisson sert de tisane. L’arbre qui possède une écorce mystérieuse destinée à des bains spéciaux (Missussu) est recherché pour des rites d’initiation, la purification des banzis, l’initiation au Bwiti, la recherche des faveurs, le lavage de corps, les bains de chance.

Movingui sert beaucoup aux cérémonies rituelles qu’à autre chose.

Mutombi et Movingui restent avant tout des plantes médico-magiques qui soignent à la fois, le corps et l’esprit. Ces deux espèces appartiennent à un environnement donné qui a vu passer le temps et des générations. Cela veut dire que le monde a évolué. Alors qui est-ce qui a réellement changé ? Pas grand chose.

Walker et Sillans (1961 ; 1963) rapportent beaucoup de choses à propos de ces arbres. En effet, lorsque nous confrontons nos résultats ; aux données d’auteurs, nous constatons que parmi de nombreuses coutumes d’antan, il y en a encore beaucoup qui restent d’actualité aujourd’hui.

Parmi les coutumes qui n’existent plus, nous pouvons citer chez Distemonanthus benthamianus : la fabrication de talisman d’invulnérabilité pour les guerriers ; chez Mutombi ; on note la fabrication à partir des jeunes arbres des boîtes spéciales pour conserver les cranes des ancêtres ; l’enterrement des jumeaux décédés, jeunes ou vieux au pied des grands arbres ; le lavage des statuettes du Bwiti avec l’eau issue de la décoction de l’écorce.

Parmi les usages qui restent d’actualité, nous pouvons mentionner les aspects suivants :

Chez Mutombi, on note encore les rites d’initiation, la purification des Banzis, l’initiation au Bwiti, la recherche des faveurs, le lavage de corps, les bains de chance et certains usages médicinaux relatifs à son écorce (notamment pour soigner les règles douloureuses chez les femmes ou encore en guise de boisson pour apaiser la soigne chez tout le monde).

Chez Movingui, on observe encore des cérémonies de mussussu ou d’initiation à certains rites comme le djiembè ou encore l’utilisation de son écorce en pharmacopée traditionnelle notamment pour soigner la peau ou pour confectionner des poudres destinées aux esprits des ancêtres (bissièmu).

Alors question ! Peut-on classer Movingui et Mutombi parmi les grandes figures végétales ?

La notion de grandes figures dans ce cas serait assez ambiguë si on met l’homme d’un côté et l’environnement de l’autre. Par contre, la notion de grandes figures se comprendrait aisément lorsque l’homme fait partie intégrante de son environnement. Pourquoi ? Il n’ y a pas de grandes figures sans se référer d’abord à l’homme. Les grandes figures existent partout où l’homme vit ; parce que ce sont les hommes qui construisent le monde ; ce sont toujours les hommes qui détruisent ce qu’ils bâtissent ; et ce sont les mêmes hommes qui nomment les plantes, les animaux, les choses qu’ils côtoient dans la nature, en fonction de ce que cela représente pour eux. La notion de grande figure trouve son sens en fait dans ce que l’homme gagne en retour. Dans ce cas Movingui et Mutombi remplissent bien les conditions pour être élevé au grade de grandes figures végétales. Movingui et Mutombi constituent un tout pour l’homme de forêt qui a besoin également de beaucoup de nourriture spirituelle pour vivre. 

Ce que nous avons dit sur Mutombi et Movingui sont des choses vraies pour la personne qui prête une oreille attentive aux réalités de sa tradition. Ces réalités culturelles ne sont pas vraies pour l’homme de la ville, appelé aussi le nouveau blanc qui pense que la vie commence à 6 h du matin pour s’arrêter à 18 heures le soir.

L’Afrique est un merveilleux continent qui a ses peuples, ses traditions et ses mystères. Tout ce qui vit avec l’homme est né depuis la création ; tout ce que l’homme devrait faire c’est suivre les traces laissées par la tradition ; car la tradition c’est Dieu ; et Dieu ne peut pas induire l’homme en erreur ; c’est l’homme plutôt qui est responsable de ses propres erreurs ; regardez par exemple disent les sages : « lorsque l’homme Africain choisit de vivre comme un blanc ; il oublie que le blanc vit comme sa tradition le lui recommande ».  Regardez par exemple nous fait remarquer un autre sage : « l’Africain oublie qu’il n’ y a aucune tradition qui soit supérieure à une autre ; toutes les traditions se valent ; sinon Dieu serait injuste. Le problème de l’homme, c’est l’homme lui-même ».

Tout ce que nous avons dit ne vient pas de nous. ce savoir immense vient des villageois qui m’ont enseigné pendant des jours et des semaines ; tout ce que nous avons fait, c’était écouter et traduire leur pensée à travers l’écriture. Les villageois sont formidables, parce que ce sont des Savants et les intellectuels devraient reconnaître cela au lieu de sombrer dans l’ignorance absolue.

Remerciements

Les différentes données de terrain ont été obtenues grâce aux personnes suivantes : Moungazi Augustin (Makokou) ; Matsanga Kouély (Moabi) ; Mbadinga Bourobou et Okamé Jean Michel (Mouila) ; Mintsa Mi Obiang (Libreville) ; Tengué (Bilengui, Mimongo).

Bibliographie

Vivien J. ; Vivien J., 1985. Arbres des forêts denses d’Afrique Centrale. ACCT. Ministère des relations extérieures, Coopération française. Paris , 565 p.

Walker R. ; Sillans R., 1961. Les plantes utiles du Gabon. Encyclopédie biologique. Lechevalier. Paris. 614 p.

Walker R. ; Sillans R., 1963. Les Rites et croyances du Gabon. Paris

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